Sociétés de sécurité : le principe d'exclusivité bouleversé ?

13 février 2020

Le 11 février 2020, le site d'informations sur la sécurité privée 83-629.fr a consacré un article au principe d'exclusivité en matière de sécurité, à la lumière d'un arrêt rendu en 2018 par la Cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 15 novembre 2018, N° 15LY02742), pour y voir une porte ouverte au retour des entreprises multi-servives de "facility management".

Le principe d'exclusivité trouve son origine dans l'article L 612-2 du Code de la sécurité intérieure. Ce principe érige un interdit dans deux dimensions. D'une part, il interdit aux sociétés de sécurité privée de réaliser toute activité qui ne constituerait pas de la sécurité, ou qui ne serait pas liée à elle, telle que la sécurité incendie. D'autre part, il interdit aux entreprises de sécurité bénéficiant d'une autorisation d'exercice délivrée par le CNAPS (Conseil national des activités privées de sécurité) pour une filière déterminée (surveillance humaine ou électronique, protection physique des personnes, transport de fonds) de proposer ses services dans une autre filière de sécurité.

Le respect de cette règle est contrôlé par les agents du CNAPS. Elle empêche des entreprises multi-services de proposer à la fois des agents de sécurité, des agents d'accueil, ou des prestations de ménage par exemple. Elle est facilement contournée dès lors qu'un même dirigeant ou qu'une même société mère peuvent créer des entreprises distinctes ou des filiales pour héberger ces activités incompatibles, compliquant seulement la vie des partenaires économiques en obligeant à multiplier les contrats de prestations de services.

On trouve peu de jurisprudence administrative en la matière, mais lorsque les juridictions administratives devaient appliquer l'article L 612-2 dans les procès intentés au CNAPS par des sociétés de sécurité contre des sanctions disciplinaires (article L 634-4 du Code de la sécurité intérieure), la règle ne posait pas de difficulté.

Par exemple, un arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 12 avril 2019, N° 17BX01006) a jugé fondée la sanction prononcée contre une société de sécurité qui employait à la fois des agents de sécurité et des agents d'accueil.

Pour le CNAPS, la portée du principe d'exclusivité s'étend encore plus loin. En effet, de nombreuses sociétés de sécurité pensaient ne pas enfreindre cette règle en sous-traitant à une autre entreprise soit une activité autre que la sécurité (accueil, ménage, etc.) soit une activité de sécurité autre que celle pour laquelle elles étaient spécialement agréées. Le CNAPS estimait au contraire que, dans la mesure où la société de sécurité concluait avec son donneur d'ordres un contrat global portant en partie sur des prestations qu'elle-même n'était pas autorisée à réaliser, elle devait être juridiquement considérée comme exerçant elle-même ces prestations, sans que la sous-traitance modifie cette analyse.

Or, l'arrêt du 15 novembre 2018 contredit la position constante du CNAPS. Sa particularité consiste en ce qu'il ne s'agit pas d'une procédure de contestation d'une sanction prononcée par l'administration, mais d'un cas d'engagement de responsabilité administrative en matière de marchés publics. Pourtant, la Cour va développer un raisonnement approfondi fondé sur la loi du 12 juillet 1983 (codifiée depuis), dont la portée ne peut pas être minorée.

Que dit la Cour administrative d'appel de Lyon ? Selon cette juridiction, le principe d'exclusivité n'interdit pas la sous-traitance, par une société qui ne fournit pas de prestations de sécurité et n'est pas agréée pour le faire, de ses obligations contractuelles en matière de sécurité, dès lors que son sous-traitant est titulaire d'une autorisation spécifique, et que lui-même n'est pas dirigé, géré ou associé à son cocontractant.

Les implications de cette décision de justice sont nombreuses. Elle signifie qu'une société dont l'objet social n'est pas la sécurité peut conclure un contrat portant en partie sur de la sécurité dès lors qu'elle sous-traite l'exécution de ses obligations à un opérateur autorisé par le CNAPS. Elle signifie également qu'une société de sécurité pourrait conclure un contrat de sécurité mixte, portant par exemple sur du gardiennage et de la protection rapprochée, dès lors que l'une ou l'autre de ces prestations serait sous-traitée. Elle signifierait également qu'une société de sécurité pourrait conclure un contrat multi-services (par exemple de sécurité et de nettoyage) dès lors qu'elle sous-traiterait l'exécution des obligations non sécuritaires.

Cet arrêt est donc susceptible de bouleverser l'application du principe d'exclusivité. Compte tenu des risques attachés à une procédure disciplinaire, la prudence commande peut-être d'attendre que d'autres Cours administratives d'appel et le Conseil d'Etat se prononcent sur ce point de droit, et stabilisent une jurisprudence encore trop rare.

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